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15/07/1983 | L'affaire Toni Negri
de Marco Pannella

SOMMAIRE: Toni Negri, leader de "autonomia operaia" et imputé de nombreux délits de terrorisme, est élu à la Chambre des députés dans la liste du Parti radical le 23 juin 1983 et par conséquent libéré. Répondant aux nombreuses critiques qui sont avancées dans de nombreux articles, Marco Pannella précise son jugement sur la culture politique exprimée par le terrorisme et en général par les mouvements d'extrême gauche marxiste et les raisons de la candidature de Toni Negri. "Personnellement je ne crois pas avoir partagé un seul mot, un seul écrit de Toni Negri"..."Je suppose aussi que Toni Negri les ait violés (les codes) et qu'il en ait inspiré et organisé la violation dans bien d'autres cas" mais l'Etat, affirme Pannella, ne peut faire justice sommaire, garder une personne en prison pendant cinq ans sans lui faire un procès, l'accuser, avec dol, de délits non commis, violer tous les principes du droit et les garanties mises à tutelle de l'imputé. L'objectif de la candidature de Negri est donc la modification de la législation "spéciale" qui permet, entre autre, une incarcération préventive de plus de dix ans, et aussi la réforme de l'institution de l'"immunité parlementaire": "nous voulions montrer que nous sommes contre l'immunité parce que nous considérons que doit prévaloir le droit-devoir du citoyen accusé d'être jugé et reconnu coupable ou innocent".
Il est important de relever que ces jugements sont exprimés par Marco Pannella avant que la Chambre ne vote, avec le concours déterminant des députés radicaux, l'autorisation à poursuivre et l'arrestation de Toni Negri. Le "scandale" pour ce vote radical, cohérent avec les positions que le Pr a toujours manifesté, est dénoncé justement par ceux qui avaient durement polémiqué précédemment contre la candidature de Toni Negri.
Suite à cette initiative radicale, le procès contre Toni Negri et les autres accusés du "7 Avril" est finalement célébré et le Parlement approuve une série de réformes en matière de justice dont la réduction de l'incarcération préventive.
(Opuscule diffusé par le Parti radical, 15 juillet 1983)


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J'ai déjà eu l'occasion d'affirmer que le brigatiste Curcio (1) et le magistrat Calogero me semblent avoir une culture commune: une culture de justiciers. C'est un jugement, pas une condamnation.

Une conception de la justice venant des justiciers est ou a appartenu aux traditions qui se sont affirmées pendant des dizaines d'années, des siècles: l'Eglise catholique, la plupart des forces révolutionnaires, certaines forces jacobines, une grande partie du communisme réel. Je peux me tromper, mais ainsi je juge et j'assume la responsabilité de juger.

Curcio a sûrement violé la loi; Calogero je ne sais pas: on lui a mis dans les mains des lois barbares, il s'est peut-être limité à les utiliser jusqu'au fond, dans leur logique perverse. Je doute que ces lois soient constitutionnelles, je suis plutôt convaincu qu'elles ne le sont pas. Mais je ne peux pas ne pas tenir compte du fait qu'elles n'ont pas été déclarées telles, même si je souhaite qu'elles soient abrogées et je lutte pour qu'elles le soient, ayant déjà lutté avec mes compagnons radicaux, comme personne d'autre au Parlement, pour qu'elles ne fussent pas votées et pour que fussent au contraire abrogées - contre le terrorisme, contre les violents - les mêmes lois fascistes dont elles ne sont - idéologiquement et techniquement - qu'une aggravation inouïe. Je souhaite que l'on trouve finalement des avocats et des juges qui oeuvrent pour permettre à la Cour Constitutionnelle de se prononcer et que, sur ce sujet, il y ait la surprise qu'on se prononce de façon démocratique et non de parti, comme c'est désormais devenu le cas.

MAUVAIS MAITRES ET MAUVAIS PHARISIENS.
Donc j'exprime publiquement et réitérativement cette conviction intellectuelle et politique qui m'appartient. Mais il ne s'agit pas du tout d'une "condamnation morale". Si la culture de Calogero - ou celle de Curcio - était comme je le crois, une culture de justiciers plutôt que d'hommes de justice, je considérerais immoral qu'ils se comportent autrement qu'en justiciers. Ma condamnation intervient, pour Curcio, en synchronisation et syntonie avec les sentences de la justice, non pas pour ses convictions - opposées aux miennes - mais parce qu'il a commis des crimes et des délits en violant des lois pénales, c'est à dire les règles du jeu de la cohabitation civile.

Mais il s'agit d'une condamnation politique, pas d'une condamnation morale, outre qu'une adhésion à l'exercice concret de la justice et à ses conclusions, dans la constatation de la vérité et dans l'application des sanctions prévues. Non pas parce que la sienne soit une culture moralement condamnable: aucune ne l'est. Pour une civilisation, pour une culture, comme pour une personne, il ne peut y avoir perversité possible mais seulement différence. Il ne peut y avoir qu'un comportement pervers, pas une personne, si nous voulons nous placer à l'intérieur de l'histoire de la civilisation politique et juridique, de l'Etat de droit, des prémisses mêmes de la démocratie "occidentale". Pour Calogero, tant que je ne me convaincrai pas totalement qu'il viole de façon flagrante et certaine, outre que dolosive, la loi, mon jugement est de pleine hostilité politique, pas de condamnation ou de requête de condamnation "morale".

Celui qui écoute, parle et prêche différemment peut bien le faire légitimement: mais au nom de l'Etat "éthique", pas de celui de droit; ou au nom de la raison d'état ou de partie, non pas du sens de l'Etat ou civil de la Polis. Ou alors qu'il le fasse en clerc et justicier pour le compte de sa propre vérité d'"église" ou de secte - "athée" ou "confessionnelle" qu'elle se proclame - érigée à unique ou supérieure à toute autre vérité, et à affirmer comme telle avec la violence de l'excommunication, si ce n'est avec la force de l'épée de sa propre "justice". Mais Curcio et Calogero ne sont pas des "professeurs"; ils écrivent l'un et l'autre mais ce n'est pas à leur "écrire" et à leur "professer" que sont en général reconduites leur personnalité et leur fonction. Pour Negri (2) au contraire, c'est le cas...C'est donc un "piètre maître".

Dans l'histoire, tout nouveau maître, pour s'ériger et être reconnu comme tel, ne peut pas ne pas apparaître "piètre maître"; du moins au plus et à ceux dont il dépasse, corrige, démenti l'enseignement de vie et de parole; plus scandaleusement, plus grandement et radicalement il est "maître", c'est à dire "nouveau maître".

Cela veut-il dire que quiconque - écrivain ou professeur de profession ou ayant droit et prestige dans des cercles plus ou moins restreints - suscite réprobation, scandale, dédain ou excommunications, rien que pour cela doive être tenu en odeur de génie ou de grand magistère? Certainement pas. Même un crétin, dans certaines conditions de milieu et de chronique, pour des raisons étrangères à ses propres qualités, peut être erronément considéré ou craint pendant un instant comme un "grand maître" ou une sorte de méchant démon destructeur. Je me limite à considérer que le "scandale", la "perversité", est la condition nécessaire et tout à fait insuffisante pour qu'il y ait vraiment un nouveau grand enseignement venant d'un nouveau "excellent" maître.

Et, toujours, contre un tel maître hypothétique, tant que l'on ne peut utiliser (comme avec Socrate ou avec le Christ, avec Capitini ou avec Calogero) la force de la loi, on utilise la "condamnation morale", l'excommunication, l'exclusion de la communion des "bons" de la part des méchants (pas tous) pharisiens.

TONI NEGRI A-T-IL VIOLE LA LOI?
Personnellement je ne crois pas avoir partagé un seul mot, un seul écrit de Toni Negri, ou de pouvoir permettre ou même accepter ou être agnostique par rapport à sa pensée telle qu'est s'exprimait dans les années où il aurait été "piètre maître". Et je le considérerais "immoral" justement s'il n'avait pas de quelque façon agit conséquemment à ses pensées, à sa moralité, c'est à dire même violemment. Mon problème est au cas où de savoir si sa cohérence l'ait amené à violer la loi. Je suppose que oui, aussi parce que les codes étant encore notoirement ceux fascistes, personnellement et avec tous mes compagnons radicaux nous avons été continuellement accusés de les violer et nous avons infiniment de fois dû nous auto-accuser de les avoir violés, s'il m'est consenti et pour aller droit au but, par devoir socratique, constitutionnel et non-violent. Je suppose que Toni Negri les ait violés aussi et en ait inspiré et organisé la violation même en d'autres cas: nous n'avons pas attendu le mois d'avril 1968 pour combattre les choix "théoriques" et les méthodes du "mouvement", étudiant ou moins, en Italie ou France que ce fut. Et nous ne l'avons pas fait dans des salons ou des académies, mais sur le vif, dans les assemblées et dans les rues aussi, en tant que non-violents, c'est à dire avec force et vigueur, avec une exposition personnelle et politique. Je le crois et j'affirme le croire sans problèmes, comme je le fais depuis 15 ans.

Et sur le plan personnel et politique, cela peut être bien suffisant et de soutien pour moi. Mais pas pour le juge. Le juge doit établir quand, comment, où et aussi pourquoi, avec qui; il doit le faire rapidement, avec certitude. S'il ne le fait pas, s'il ne peut ou ne sait pas le faire, si les faits ou l'exercice légitime du droit à la défense, les règles du jeu de procès ne lui permettent pas de traduire sa propre conviction subjective de culpabilité en imputations démontrées, il ne peut qu'acquitter ou absoudre.

UNE PERSECUTION ABERRANTE
En ce qui me concerne, en conscience absolue, rien, je dis rien, pas même sur le plan intellectuel et logique, ne me permet de considérer que Toni Negri soit coupable d'insurrection armée, ou soit le chef hiérarchique d'une "Autonomie" (3) organisée militairement, ou soit le mandant ou le complice des assassinats pour lesquels ont été condamnés les différents Fioroni (pour ne m'en tenir qu'à certaines des imputations survivantes et ne pas poursuivre la myriade d'autres qui sortent comme des boîtes chinoises au fur et à mesure que la justice doit abandonner les imputations précédentes).

Je ne trouve pas seulement déplorable mais aberrant que Toni Negri ait été présenté, par responsabilité involontaire ou volontaire du juge Calogero, à la presse du monde entier, comme étant le téléphoniste Brigatiste rouge de l'assassinat de Moro (4); ensuite comme le vrai chef des Br; puis, non seulement comme le vrai chef des Br mais d'une organisation terroriste diversement nommée mais seulement pour couverture de l'"Autonomie" (avec un A majuscule) et ainsi de suite.
Je ne trouve pas seulement déplorable mais aberrant et indigne qu'un citoyen sûrement innocent des délits et des faits infâmes et très graves pour lesquels il a été arrêté, diffamé dans le monde entier, lynché moralement dans son identité et son image, ne soit pas indemnisé ou libéré, au moins pour une heure, en quatre ans, mais soit renfermé dans les prisons spéciales, avec négation des droits personnels les plus élémentaires; transporté dans toute l'Italie; rejoint, dans ces conditions, par de nouvelles imputations au fur et à mesure que les vieilles arrivent à expiration; passé d'un juge non naturel à l'autre; objet de plusieurs procès pour les mêmes faits; jamais mis en confrontation, pas même pour un instant, avec ses tardifs accusateurs (parmi lesquels des individus condamnés pour assassinat et qui, grâce à cette accusation, se trouvent en liberté); avec le même juge qui en a ordonné l'arrestation qui pendant plus de quatre ans ne ressent pas la nécessité de le revoir, si ce n'est que pour un nouvel interrogatoire-éclair; nécessitant de millions et de millions rien que pour acquérir les photocopies des procès desquels émergent les nouvelles imputations; devant continuellement répondre - et fournir alibis ou souvenirs documentés - d'événements d'il y a 10, 12 ans; accusé au fur et à mesure d'être le mandant, l'"inspirateur", le "piètre maître", même d'assassinat commis quand il était en prison spéciale depuis des années, d'avoir organisé des évasions alors qu'il n'a jamais tenté la sienne ou celle de ses voisins ou plus proches compagnons, au contraire criant toujours de vouloir subir un procès. Subir un procès, de suite, pour l'assassinat de Moro, pour le commandement des Br, ect...Au contraire, on attend l'année 1981, la promotion des "repentis" et puis leur utilisation, pour pouvoir trouver d'autres "éléments de confrontation" qui permettent de nouvelles "imputations"...

M'est-il permis, dans ces conditions, de bénir une fois de plus la civilisation juridique, la constitution même, qui m'enjoignent toujours de présumer la non-culpabilité jusqu'à preuve du contraire?

Mais croyez-vous que j'aie vraiment pu imaginer que le juge Calogero ne fut pas plus que certain, plus que documenté, sur les "coups de téléphone" de Negri à la famille de Moro avant de participer à son assassinat, quand j'ai lu dans la presse, sans exceptions, qu'à cela était due l'arrestation du 7 avril? Croyez-vous vraiment que je n'aie pas pu consacrer de temps pour cesser de donner crédit à une action judiciaire aussi férocement sure de soi? Pourtant je fais peut-être partie des milliers ou des centaines de citoyens ou d'hommes politiques, parmi soixante millions d'italiens, accusé ou contraint plus que d'autres à avoir à faire avec la justice, d'un côté ou de l'autre.

Précisons maintenant qu'il n'y a pas que Toni Negri, mais des milliers d'imputés, de citoyens en expiation anticipée d'une peine qui pourraient très bien ne pas leur être prescrite car non reconnus coupables par des sentences régulières, qui se trouvent à subir cette réalité aberrante. Mais il est hors de doute que l'histoire de Toni Negri comprend en grande partie celle des autres. Je ne connais pas le réciproque, comme ne le connaît pas l'Italie, et le monde; je ne dis pas qu'il n'existe pas d'histoire plus cruelle et infâme. Je dis que je ne la connaît pas, que les juges ne l'ont pas fait connaître à la presse et la presse à tous, à moi aussi. Voilà pourquoi, il y a un an, je me suis rendu chez Toni, et non pas chez d'autres, ou aussi chez d'autres.

LES FAUTES DE NEGRI ABSOLVENT-ELLES L'ETAT?
Donc, l'histoire est monstrueuse. Et personne ne le nie. Tous, ou plutôt, vraiment tous (et je ne les nomme pas car ils sont une foule: une vrai plèbe d'aristocrates de la pensée, de l'intellect, de la morale, du droit, de la politique, de résistances en général cessées dans l'autre moitié du siècle mais depuis lors bien administrées), proclament que l'Etat est vraiment coupable d'un état de choses dans une histoire qui ne va pas. Mais tout de suite après, à foison, arrivent les "mais". Bref, ils disent tous que la faute de l'Etat n'absouds pas Negri des siennes. Lapalisse et ses descendants engendrent comme des lapins. Il n'y a pas d'autre explication face à la progression géométrique de lapalissades qu'on nous renverse sur la tête avec une intensité frénétique.

Vieux staliniens endurcis; adultes arrivistes arrivés avec fatigue dans les pages importantes des journaux et dans les chaires des élus du régime, après des décennies de services timorés (et gare si le souverain choisi devient désarmé et est blessé); patriarches prestigieux qui ne boivent avec fatigue que ce que la presse, qui de temps en temps les sollicite et les accueille, veut leur faire savoir et croire, privés de curiosité et d'attention; une classe dirigeante unanime pendant quarante ans pour clouer la République à ces codes fascistes dont le Parti national fasciste fit cadeau à l'Italie pendant moins d'une décennie; les paléo-fascistes en service auxiliaire permanent...Il ne manque vraiment personne. Et comme ce sont eux qui ont l'information en main, ils tolèrent tout au plus la fronde de quelque rare collaborateur dont l'avis diffère.

Nous considérons, en outre, et de cela nous nous occupons, que les fautes - à prouver - de Negri n'absolvent pas l'Etat. Parce que nous avons le sens de l'Etat, outre que celui de la Justice. Et si l'Etat est en difficulté, si la République va faire compagnie à l'URSS et au Chili, à la Turquie et à l'Iran dans les listes d'Amnesty International, dans les Cours internationales et européennes de justice (vous en êtes-vous aperçus, censeurs et collègues des censeurs?), si l'on continue à faire des massacres de légalité même officiellement et avec ostentation (outre qu'avoir ses propres services secrets, selon ce que dit la magistrature, dans toutes les infamies de Br, d'Autonomes, de noirs, de marchands de drogue et d'armes), alors se préparent inéluctablement aussi des exterminations de vies humaines, et pas seulement de ces trente millions qui ont été tués "ailleurs" par la faim et la misère.

Nous nous en occupons. Oh, certainement pas comme ces messieurs s'inquiètent d'incarcération préventive et de torture (ça ne vous dit rien?), en en parlant "en ligne de principe" quand il s'agit de défendre en concret l'incarcération même et de nier désespérément que dans un cas au moins il y ait ou il y ait eu torture. Nous ne nous en "préoccupons" pas, mais nous nous en occupons, à notre risque et péril, en conscience et dans les faits.

A NOTRE RISQUE ET PERIL
Nous avons avant tout pensé à l'Etat, à la justice, à la non-violence, à la force de la civilisation juridique et de la tolérance à préserver. Toni pouvait même être sur le point d'être reconnu coupable de l'assassinat de Moro, de Giorgiana Masi (5), des massacres de Milan, de Brescia, Bologne, de l'Italicus au lieu d'en être absolument et certainement innocent, étant donné qu'il l'est pour Calogero même, maintenant. Mais tant qu'il n'était pas condamné, nous aurions pu aller de même chez lui, comme nous y sommes allés l'années dernière pour l'accompagner à la sortie de Rebibbia (6), relâché pour échéance des termes par arrêté de la "nation", du "peuple souverain" qu'il représente aujourd'hui.

Maintenant, c'est le scandale. Maintenant on discute même de l'immunité parlementaire. Du côté de ceux qui en ont profité avec arrogance et qui l'ont défendue contre notre lutte incessante et solitaire, comme pour la Commission d'enquête (7): démo-chrétiens et républicains, sociaux-démocrates et "missini" (8), communistes et socialistes.

Serions nous en contradiction? Laquelle? Nous voulions imposer à l'attention de la nation - et du monde, assailli dans le passé par des nouvelles différentes, d'infâmes mensonges - la situation dans laquelle les infâmes lois imposées par l'unité nationale et par les partis de la fermeté (les mêmes qui négocient officiellement, tous les jours, la liberté de n'importe quel assassin en échange de délations, vraies ou fausses qu'elles soient) ont jeté la justice italienne. Nous voulions réaffirmer avec Beccaria (9) que la certitude et la promptitude de la peine, non pas les inquisitions, peuvent être de dissuasion et gagnantes contre la criminalité, garantie de justice pour les innocents. Nous voulions frapper - en interrompant le cours de la plus grave et emblématique histoire d'expiation anticipée, féroce et vexatoire, d'une peine non prescrite - des lois et des situations anticonstitutionnelles, barbares, suicides pour la démocratie et la civilisation politique. Nous voulions rendre à l'économie de procès, au moins un petit peu, l'apport d'une défense désormais rendue vaine, pour arriver à l'établissement de la vérité des faits et du procès. Certes, nous voulions montrer que le Léviathan n'est pas tout puissant et que si la violence le renforce, la non-violence - seulement - peut le battre et en prendre la place par un Etat de droit, démocratique, civil. Nous voulions faire flamber, enfin, la réflexion et le débat sur l'immunité parlementaire, pour imposer notre projet de loi, le seul qui la réforme et ne la perpétue pas en la changeant, comme ce fut fait par l'hégémonie des partis dans le cas de la commission d'enquête quand nous étions sur le point de l' abroger par referendum.

Nous voulions montrer - une fois encore - que nous sommes contre l'immunité, parce que nous considérons que doit prévaloir le droit-devoir du citoyen accusé, d'être jugé et reconnu innocent ou coupable, même quand il y a "fumus persecutionis": parce que dans le cas de Toni Negri il n'y a pas que "fumus" mais une "Seveso" (10) certaine de persécution.

Je laisse aux Tartufes se raconter à eux-mêmes sans rire, qu'ils se sont - eux! - "battus" pour les garanties ou les garantismes avant de se battre "contre les idées" des "piètres maîtres", à force d'anathèmes et d'excommunications morales, étant donné que pour l'instant nous leur avons enlevé des mains (et des prisons d'inquisition, fascistes ou de Troisième Internationales) le condamné en attente d'être jugé.

Qu'ils se calment. Pour un Negri élu, malgré des élections d'escrocs, dans un Parlement dégradé par leur hégémonie des partis de la même façon que la justice dans cette histoire, le monde ne change pas: il reste encore des millions d'autres "nègres" avec lesquels se rattraper tous les mois, en leur niant les mêmes idéaux, même le pain et l'eau jusqu'au dernier râle. Eux, nous ne pouvons pas les élire. Et c'est le triomphe incontesté de ces messieurs, excellents et infatigables maîtres.

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N.d.T:
(1) Renato Curcio: fondateur et idéologue des Brigades Rouges.
(2) Toni Negri: exposant d'un groupe d'extrême gauche nommé "Autonomie Ouvrière", arrêté et mis en prison pendant cinq ans en espérant de subir un procès. Libéré, il fut ensuite élu député du Parti radical.
(3) Autonomia Operaia: (Autonomie Ouvrière) Mouvement d'extrême gauche, né en Italie dans la seconde moitié des années 70. En 1979, fut accusé d'être de connivence avec le terrorisme.
(4) Aldo Moro: (1916-1978), homme politique italien. Secrétaire de la DC, la Démocratie chrétienne italienne (1959-1965), plusieurs fois ministre, fut l'auteur de la politique de centre-gauche. Ministre des Affaires étrangères (69-74), chef du gouvernement (74-76), président de la DC depuis 76, favorisa l'approche du Parti Communiste au gouvernement. Enlevé par les
Brigades Rouges le 16 mars 1978, il fut retrouvé mort le 9 mai de la même année.
(5) Giorgiana Masi: militante du Parti radical qui fut assassinée par la police au cours d'une manifestation pacifiste organisée par le PR pour recueillir des signatures.
(6) Rebibbia: prison de haute sécurité de Rome.
(7) Commission d'enquête: commission parlementaire formée de dix députés et dix sénateurs et appelée à organiser le jugement pénal contre le président de la République et les ministres. Elle mène, avec les mêmes pouvoirs que le juge pénal, une enquête pour décider si les renvoyer à la Cour Constitutionnelle ou pour les acquitter et mettre le cas aux archives.
(8) "missini": appartenant au MSI, le Mouvement social italien, parti d'extrême droite fasciste.
(9) Cesare Beccaria: (1738-1794) homme de lettres et économiste italien. Dans son célèbre livre "Des délits et des peines" soutient l'ajustement de la peine à la faute et l'abolition de la peine de mort.
(10) Seveso: commune de la province de Milan qui fut théâtre d'un désastre écologique causé par la libération dans l'atmosphère d'une grande quantité de dioxine.
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"Il caso Toni Negri"
di Marco Pannella

Appunti e spunti in riferimento agli articoli di Ferrara, Galante Garrone, Trombadori e altri
"The Toni Negri case"
by Marco Pannella

"Notes and comments with reference to articles by Ferrara, Galante Garrone, Trombadori and others".
El caso Toni Negri
de Marco Pannella

Apuntes e ideas sobre los artículos de Ferrara, Galante Garrone, Trombadori y otros(1)